Andréa Mestre : J’ai le VIH et alors ?

Experte en libération de la parole, Activiste HIV+, intervenante en dépassement de soi, Andréa Mestre vit avec le VIH depuis plusieurs années. Si beaucoup s’en cachent même en 2023, la jeune femme a choisi de lever le tabou sur cette maladie. Elle sensibilise, incite les autres malades à se déclarer et à suivre les traitements. Malade certes, mais il faut vivre. Aujourd’hui malgré les contraintes liées au VIH, Andréa vit comme une personne qui n’est pas malade. Elle a trouvé l’amour et est devenue mère. Elle pouvait bien s’arrêter là puisqu’elle a réussi à côtoyer ce virus comme une warrior. Mais non, Andréa sait que d’autre en souffrent. Son combat aujourd’hui est de faire comprendre aux uns et aux autres que le VIH n’est pas une fatalité comme aux premières heures de la découverte de la maladie. Femme forte et modèle, elle nous inspire profondément chez Etincelante par sa façon de voir la vie. Ambitieuse, elle n’a pas encore fini de nous étonner. C’est une femme souriante et pleine de vie que nous rencontrons. Nous vous proposons de lire nos échanges.
Etincelante : Bonsoir Andréa, merci d’avoir accepté cette entrevue. Vous avez une association qui lutte contre la sérophobie. Présentez-nous cette association mais avant c’est quoi la sérophobie ?
A.M : Mouvement contre la Sérophobie, est une association qui lutte contre les discriminations et les stigmatisations liées au VIH. Nous sensibilisons également en milieu scolaire et rural. Accompagnons psychologiquement les personnes Séropositives et les femmes enceintes afin de limiter la transmission mère enfant.
La Sérophobie c’est la peur, le rejet des personnes vivant avec le VIH.
Etincelante : Quelles sont les acquis du « Mouvement contre la sérophobie » et quelles sont les activités prévues courant 2023 ?
A.M : L’association est naissante et pour l’instant elle sensibilise afin de briser les préjugés autour du VIH grâce aux réseaux sociaux et aux médias.
Nous prévoyons pour 2023 ouvrir une ligne d’écoute, un programme d’accompagnement psychologique et des campagnes de sensibilisation en milieu scolaire.
Etincelante : La plupart des personnes qui ont le virus du VIH s’en cachent pourquoi vous êtes à l’aise d’en parler ?
A.M : Ça été un long processus pour en arriver là. J’ai eu le soutien de ma famille, mon époux et mes proches. Prendre la parole publiquement est une thérapie qui m’a totalement guérie intérieurement.
C’était important pour moi de mettre un visage sur le VIH, dire aux gens que le VIH existe toujours et qu’il ne faut pas avoir peur des personnes séropositives.
Il fallait montrer aux personnes vivant avec le VIH, qu’il y a une vie après l’annonce de la séropositive et elle peut être merveilleuse.
Etincelante : En quelle année avez-vous su que vous aviez le VIH et quelle fut votre première réaction ?

A.M :J’ai appris ma séropositivité en 2014, j’avais 22 ans à l’époque.
C’était un choc, je m’y attendais pas et surtout je suis passée par plusieurs émotions comme la peur, la culpabilité, l’angoisse.
Malheureusement, j’étais en dépression sans m’en rendre compte malgré le soutien de mes proches. J’ai fais une tentative de suicide quelques mois après l’annonce.
Etincelante : Cette nouvelle a changé quelque chose dans votre vie ? Avez-vous arrêté le travail par exemple ?
A.M : Oui, j’ai dû commencer rapidement mon traitement et ça été très éprouvant au début. Mais cela ne m’a pas empêché de vivre.
Etincelante : Parlez-nous de votre cursus scolaire, vous êtes diplômée de quelle université ?
A.M : J’ai fait un BTS esthétique cosmétique en France.
Etincelante : Exercez-vous d’autres activités professionnelles ou bien tous vos travaux sont axés sur la lutte contre VIH ?
A.M : Tous mes travaux sont axés sur la lutte contre le VIH.
Etincelante : Vous voyagez sans doute beaucoup pour parler davantage de la lutte contre le VIH, quels sont les témoignages qui vous touchent le plus et quel voyage est resté gravé dans votre mémoire jusqu’ici ?
A.M :
L’histoire d’une jeune fille séropositive qui avait perdu tout espoir quand elle m’a contacté. Elle était au bord du suicide, mais avec un accompagnement nous avons pu la relever et lui trouver un travail. Elle avait repris goût à la vie et à même trouvé un petit copain. Malheureusement quelques temps auparavant elle avait arrêté son traitement durant deux ans et cela a eu raison d’elle. Malgré qu’elle ai repris son traitement et commencé à s’accepter, elle est tombée malade. Les jours qui ont suivi elle est décédée.
Ça été un choc pour moi, et je me rendue compte de l’ampleur de la sérophobie dans la vie des personnes vivant avec le VIH.
Etincelante : Comment avez-vous rencontré l’homme qui vit à vos côtés en ce moment, le père de vos enfants ? Il doit vous aimer énormément, d’ailleurs il est temps de le dire ici et maintenant que malgré la maladie on peut bien avoir une vie de couple épanouie avec des enfants sans le virus en plus.
A.M :Oui, une personne séropositive sous traitement et indétectable ne transmet pas le virus du VIH.
Il est important de le dire.
J’ai rencontré mon mari lors d’une soirée entre amis et ça été tout de suite le coup de foudre. Quelques semaines plus tard je lui annonce que je suis séropositive. Il a rigolé et il a dit << Et alors ? >> Le VIH ne m’empêchera pas de t’aimer.
Et 5 mois après nous nous sommes mariés traditionnellement à Abidjan. Nous avons eu une fille par la suite, et un autre mariage civil et religieux et deux autres filles.
Il me soutien dans tout ce que j’entreprends.

Etincelante : Quels sont vos projets ?
A.M : créer un espace dédié à la médecine naturelle pour les personnes séropositives afin de pouvoir améliorer notre santé.
Toucher la majorité des médias en Afrique Francophone afin de faire passer mon message de sensibilisation contre la sérophobie et le VIH.
Emmener les entreprises à pratiquer une politique d’inclusion et de non discrimination envers les personnes séropositives.
Porter à succès toutes les actions de l’association.
Etincelante : Quel est votre message à l’endroit de cette jeune fille qui vient de connaitre son statut de séropositivité ?
A.M : J’aimerai lui dire que sa vie continue, le VIH n’est pas son identité.
Qu’elle peut travailler, se marier, avoir des enfants, voyager, vivre tout simplement. Tout est possible
Et le plus important, s’entourer de personnes bienveillantes qui seront un soutien pour elle.
Etincelante : Est-ce que vous parlez du VIH à vos enfants ? Comment vous les transmettez votre joie de vivre ?
A.M : Pour le moment je n’ai pas encore parlé du VIH à mes filles. La 1ere n’a que 6 ans, mais je tiens à le faire quand elles auront l’âge de comprendre.
Etincelante : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez personnellement dans ce combat contre le virus ?
A.M :Je rencontre certaines difficultés concernant les mentalités qui évoluent mais pas assez.
Il y a des gens qui ne veulent pas comprendre que le VIH a changé aujourd’hui et pensent qu’ il vaut mieux Sensibiliser en véhiculant la peur.
Etincelante : Dernièrement vous vous êtes indignée suite à la diffusion d’une série qui parle du sida sur une télévision ivoirienne…
Avez-vous eu gain de cause, est-ce que votre message est parvenu vers ceux sur qui il est porté ?
A.M :Oui, la série a été retiré des écrans et c’est une victoire. Je pense que oui, le message a été entendu.
La majorité des personnes ne se rendent pas compte de la complexité de la lutte contre le VIH. Nous ne pouvons pas tolérer que des informations qui ne sont plus d’actualités soient diffusées à la télévision.
Etincelante : Quel message avez-vous pour vos proches et familles. Ils ont dû vous soutenir comme il se doit j’imagine ?

A.M : Je suis reconnaissante d’avoir eu autant d’amour et de soutien. Ma famille et mes proches ont dû eux-mêmes se libérer du regard des autres et c’est génial.
Etincelante : Quel héritage comptez-vous laisser au monde ?
A.M : Vaincre la sérophobie !
Etincelante : Ceux qui vous suivent sur les réseaux pensent ou dissent que vous êtes jumelle, c’est vrai ? Vous ressemblez beaucoup à cette sœur.
A.M : Oui, j’ai une sœur jumelle qui vit en Côte d’Ivoire. Nous nous ressemblons beaucoup et cela prête à confusion.
Etincelante : Est-ce que vous pensez que votre combat compte ? Avez-vous eu des accompagnements vis-à-vis des autorités ou des organismes qui luttent contre cette maladie ?
A.M :Oui, mon combat compte et de plus en plus d’organismes qui lutte contre le VIH font appel à moi et même ceux qui ne sont pas dans la lutte.
Cela montre que mon message est entendu.
Etincelante : Malgré tout ce courage ça ne doit être facile, vous prenez des comprimés tous les jours pour stopper l’évolution du virus, qu’est-ce qui vous aide à tenir ?
A.M :Le traitement n’est pas facile au quotidien, c’est ma Foi en Dieu et l’amour de mon époux, mes enfants et mes proches qui me font tenir.
Etincelante : Vivreapres.org est votre site. Il a été créé quand et de quoi parlez-vous ?
A.M:Vivre après est un blog dédié aux personnes séropositives mais aussi à leurs proches qui souhaitent en savoir plus sur le quotidien avec ce virus. C’est aussi un espace d’échange.
Il a été créé en 2020
Etincelante : Quel est votre dernier mot pour terminer cet entretien ?
A.M :Nous ne devons pas avoir peur des personnes séropositives mais du VIH.
Pour que la peur change de camp, nous avons besoin de vous.
N’oubliez pas qu’une personne séropositive sous traitement est indétectable et ne transmet pas le virus.
Etincelante : Vous êtes très belle Andréa. Gardez ce sourire et continuez le combat. Il est noble.
A.M :Je vous remercie Madame Sow , et un grand merci au magazine Etincelante de m’avoir donné la parole et surtout une belle visibilité en me choisissant comme Cover.
Maimouna Sow